Été. Errance en enclave. Épisode 2/2

Immersion en images dans une Gated Community

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 Quête d’ouverture et de poésie

Aveuglée par mon fantasme, j’ai sans doute fait un choix aux antipodes de mes convictions. Soit, je suis bien décidée à me dénicher un camping de poètes pour l’an prochain. Et parmi la foison de possibilités, j’arrête mon choix sur la frontière dans un premier temps. Il est grand temps d’aller voir de l’autre côté. En parallèle à mon immersion, je me lance donc dans une exploration des campings bis, un repérage version 2017. Au programme : Excenevex, tour du Lac d’Annecy, Thônon, Evian. Constatation : ces campings là sont strictement touristiques et chacun d’entre eux compte une nationalité de prédilection : Allemands, Néerlandais, Belges, Anglais.

En attendant, au plus fort de l’été, je me rends déjà en pèlerinage là où la caresse de l’eau est plus douce, où la poésie suinte derrière les batailles, pour elle, cette plage qui a conservé, englouti un bout de moi, et que j’ai beau supplier, je dois me résigner, elle ne me le rendra pas. Blasée… Les lieux m’ont trop déçue, les lieux m’ont vidée. Je veux trouver un bâtard comme moi et que ça devienne lui ma maison. Puisque la maison n’est plus ici, continuons à butiner, continuons la fuite. Moi qui ne trouve aucun sens à une vie ancrée, une vie immobile. Moi qui quand j’ai épuisé le lieu ai épuisé les gens aussi. L’art de la fuite, c’est la panacée des bâtards comme moi.

Chacun sa sensibilité. Chacun sa relation aux lieux. L’une retourne s’y installer tandis que l’autre simultanément choisi de fuir encore plus loin. S’installer dans un lieu sans affect. Le salut, la réponse du bâtard à l’impossibilité de s’ancrer ? Aller toujours plus loin, continuer à explorer. Choisir de n’être de nulle part, et partout chez soi. Conserver quelques amis ancrage et employer le reste de son énergie sociale à rencontrer d’autres êtres épris de liberté.

A voir ma gueule ils finiront par s’y habituer…

IMG-20170715-WA0000Heureusement l’été a fini par pointer le bout de son nez. Et avec lui la consolation. Les invitations se sont succédé. Mais sauf une exception, les amis de la première maison ne sont pas venus. Ils ont leur vie. Ils courent après le temps. Les amis de la cité d’élection ont eux apprécié l’escapade. Le rosé aussi a été invité. Et moi entre deux barbecs comme on dit j’ai nagé, le matin, l’après-midi, au coucher du soleil, j’ai chillé sur la plage, dévoré le lac des yeux et dévoré quantité de livres sous les pins, travaillé sur le PC, vécu mon trip nature à fond, même les tempêtes, même les araignées… J’ai convoqué des lieux par la pensée et à travers mes études pour le PM, beaucoup voyagé virtuellement en Méditerranée. J’ai embrassé avec joie mon rôle de marraine et pris énormément de plaisir à faire l’hôtesse, ça m’a donné des idées… Et petit à petit j’ai retrouvé ma mobilité, car aussi paradoxal que ça puisse paraître, le camping, en tout cas celui-ci, c’est le royaume des gens immobiles. Un village circonscrit et auto-suffisant où on a tendance à s’assigner…

Donc bilan, si je n’ai rien trouvé de ce que j’étais allée chercher, ni le côté « passage », ni les touristes, ni le retour, j’ai ô combien apprécié pouvoir sauter dans ma voiture au terme d’une semaine de travail, quitter la ville, me réveiller dans la nature, prendre mon café les yeux dans l’eau, multiplier les invitations et profiter à fond de mon été.

Et puis mes voisins ont fini par s’ouvrir, par m’accepter. J’ai noué quelque lien avec Karin la néerlandaise, son mari en rémission et leur joyeuse tribu, avec Eddy venu pour la première fois en … 1963, ou encore ma voisine veuve et ses deux enfants, dont Berni, un autiste pas plus étrange que je ne le fus ici. Et moi par ma présence, et ben j’ai contribué à complexifier un tout ptit le lieu aussi. Rien n’est jamais figé. 

En tout cas j’aurai aussi appris de cette expérience qui ne m’aura pas du tout fait rentrée chez moi mais immergée en terre étrangère à dix minutes de là, que c’est bien l’installé qui a le pouvoir d’intégrer l’ajouté. Quant au véritable errant, s’intégrer est dichotomique avec son projet, chercher à s’intégrer à tout prix revient à se renier. Mais la pression sociale est telle qu’on a tendance à vouloir se faire accepter par l’esprit de clocher, par ceux qui conçoivent le territoire différemment. Le fait-on par défi, par orgueil (?), par refus de juger l’installé, d’accepter que les différences ne peuvent se lier ? Quoi qu’il en soit, agissant ainsi, trichant, c’est là que l’errant commence à se sentir étranger… à lui même !

Divorcer avec la nostalgie

40Ces derniers mois j’ai vécu un choc social, choc culturel, choc personnel. Choc socio-perso-culturel. Je ne m’attendais pas à ça. Traversé une crise d’identité. Désormais fini de se demander qui suis-je pour ceux-ci, qui suis-je pour ceux-là, mais qui suis-je pour moi. Et fini l’imposture de vanter inlassablement la mobilité alors que jusqu’ici y’avait pas plus nostalgique, pas plus incapable de laisser derrière moi, d’avancer. Sans doute faut-il régler quelques comptes avant de pouvoir se laisser surprendre, cesser de vouloir tout contrôler, se définir à tout prix, arrêter le mouvement.

Mon constat : en fait le duo ne suffit pas, deux maisons = deux fois plus d’ancrage. Risque des Deux Maisons ? « l’immobilité ». Besoin d’un triptyque, de continuer à découvrir, à voyager, à se mouvoir, à se complexifier. Possible seulement une fois les bases consolidées. Besoin que tous les ptits fantômes soient en paix pour poursuivre. Être capable de regarder son mur photos dans les yeux pour pouvoir avancer.

Des années à fantasmer un retour, à vouloir s’affirmer « là-bas ». Mais le « là-bas » n’était que chimère, le lieu en mon absence ne s’était pas figé, de maison il n’y en avait plus, peut-être n’y en avait-il jamais eu. Une maison volée, voilée, dès le début. Alors finalement, c’est où la maison ? Chez soi n’est pas forcément chez soi. Chez soi c’est la somme des lieux qui nous constituent, nous ont forgés et où l’on ressent le besoin de péleriner régulièrement. Chez soi ça peut-être « chez eux » ou chez personne. Chez soi c’est là où on l’a décidé. Pas besoin de retourner. Pas besoin de se ré-ancrer. Se contenter d’y passer sereinement. En touriste. Se sentir en paix avec ça.

Temps de retourner aux horizons. De goûter à d’autres lieux. De prendre acte que plus de deuxième maison. Multiplier les maisons. Intégrer la première, cette partie de nous, dans notre identité sans heurts, sans blessure, sans nostalgie. La deuxième maison peut être une image, la deuxième maison peut être un souvenir. La deuxième maison peut être synonyme de réconciliation. La deuxième maison parfois te faire payer ton départ aussi. Le monde est en transit. La société elle a besoin d’avancer.

Finalement cette expérience aura servi à divorcer avec la nostalgie, la passée et la future. Divorce avec la nostalgie… et rebond vers un nouveau chapitre de mon errance. Le non-retour, un passage obligé. Mon ptit acte de poésie s’est heurté de plein fouet au principe de réalité. On ne trouve jamais jamais jamais ce qu’on était venus chercher. Et c’est bien ainsi. Retour avorté pour exorciser, clore un chapitre, épuiser le sujet et avancer. Le cheminement géo-identitaire ? Une route initiatique qui répond à des séquences imposées…

Cet été j’aurais aussi compris qu’on peut fantasmer tout ce qu’on veut, dans la vraie vie, un lieu n’existe pas indépendamment de sa démographie. Une démographie qui peut éventuellement vider le lieu de sa poésie. En un mot, toute géographie est humaine. Il n’existe pas d’espace, de paysage, sans territorialité.

Prochaine escale ? Acte IV…

La suite ? Et bien se servir de ma maison mobile pour continuer l’exploration et défier l’immobilité, risque de la deuxième maison « ancrée ». L’avantage de la caravane,  justement d’avoir l’opportunité de bouger chaque année. En en attendant de le dénicher le fameux camping de poètes,  je me vois déjà bien au bord du Lac d’Annecy l’été prochain. Mes amis de ma maison d’élection aussi :-).

Cette année est placée sous le signe de l’hybridation. J’expérimente le modèle, j’exploite le filon à fond. Ainsi après le choix de la double vie géographe – RH, j’ai opté pour les deux maisons en mode hybridité aussi. J’ai fait un choix hybride, en choisissant un retour « à moitié », qui au final n’en fut point un, a échoué, s’est heurté au principe de réalité. Reste que ça n’a pas entamé ma conviction : pour moi les « Deux Maisons » restent un idéal. Je ne renonce pas à être chez moi dans plusieurs lieux et à le faire accepter par la petite, moyenne ou grande cellule fermées, modèles consacrés en ces temps secoués.

Fin septembre. La saison est terminée. La caravane a gagné ses quartiers d’hiver. Retour au local, départ pour le Projet Glocal. Sentiment d’une parenthèse de six mois. Hors du temps. Sentiment d’irréalité. Comme si je ne l’avais pas vraiment vécu, que ces mois n’avaient pas vraiment existé. Troublante sensation. 

Avec cette immersion a refait surface mon projet de documentaire sur l’image d’enfance avorté. Et dans la foulée a ré-émergé cette question de mon mentor aussi : « T’es où toi dans cette histoire ?« . A l’époque je n’ai pas compris, sans doute pas prête, je me suis braquée. J’ai fui. Aujourd’hui, le temps est venu de divorcer avec la nostalgie, d’utiliser l’expérience du non-retour comme épilogue au documentaire et l’achever. De lier 2010 et 2017. La boucle est bouclée. La page est tournée.

L’été du passage. Le passé au passé. En route pour de nouveau projets, en route pour le mouvement. Après la terre d’élection, après les VM, après le « retour »… prochaine escale la découverte de la frontière et de la Genève non plus locale mais du mouvement 😉 To be continued…

20170908_190631

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