Venise, Patrimoine mondial d’une humanité confinée… C’est en pleine deuxième vague pandémique et après 15 mois d’assignation que j’ai eu la chance de découvrir cette mythique cité et me gaver du meilleur boosteur d’immunité qu’on ait inventé : la beauté.
La Route de la S(J)oie
Après l’avortement successif de tous mes projets d’évasion, je suis allée jusqu’à envisager un temps l’option « voyages immobiles ». Après tout, rêver d’ailleurs est encore permis, à défaut de pouvoir y aller… Hier encore trendy, force est de constater que le désir de rencontre avec l’autre devient aujourd’hui un acte militant ! Alors que je m’étais presque résignée, la possibilité de Venise m’est apparue comme un miracle. Comme l’unique option. Après maints rebondissements et une incertitude encore trois jours avant. Alors aux injonctions d’assignation je vous jure que dès la rentrée je m’y plierai avec la meilleure des volontés. J’ai pris acte que ça allait durer. Mais je vous en supplie, masquez-moi partout, mais ne m’enfermez pas. Laissez-moi juste respirer, juste une entrave, juste une escale, juste une sortie. Juste un billet de train aller.
Pour passer la frontière, captures d’écran des dernières mesures-sésame-ok et attestation sur l’honneur prête à être dégainée. La suite dépendra de l’évolution de la situation sanitaire comme on dit en ces temps incertains. Poursuivre vers l’Est tout en restant à l’intérieur du pays, pourquoi pas…
« Sentiment vénitien »
Une arrivée sur-réaliste. Sur le coup des 15 heures et le ventre vide, ayant évidemment zappé la suppression des wagons-restaurants, je me pose derechef sur une terrasse jouxtant la gare pour me restaurer d’une petite chose poissonnée bien grasse et siroter un pétillant prosecco. Pas la moindre idée de l’itinéraire à emprunter. C’était sans sans compter sur le serveur qui s’enquiert de ma destination, me conduit dans la foulée chez son pote d’à-coté pour acquérir mon vaporetto-sésame, m’indique le quai juste en face et me voilà partie pour longer… le Grand Canal dans son entier. Voilà comment Venise et moi on s’est rencontrés. Après avoir déposé mes bagages dans l’hôtel aux 79% de réduction, jouxtant le Palazzo Ducale rien que ça, je prolonge vers la Place Saint-Marc…. Et là, l’émerveillement.
La place Saint-Marc en quasi-exclusivité. Sur la terrasse d’en face un orchestre qui égrène son enivrant répertoire rien que pour moi. Le soleil qui se couche lentement. Les reflets sur la Basilique qui changent constamment. La place qui se pare doucement de ses lumières de nuit. Une petite fraîcheur qui m’envahit. Une grande émotion qui m’envahit. Des larmes de joie qui évacuent toute la pression de ces derniers mois. Un instant suspendu totalement surréaliste de beauté. Le bliss total. De mercredi dernier, le sommet du glauque dans un bouge de zone industrielle à la recherche d’un sandwich moisi dans une station à essence balayée par les feuilles mortes et le vent noir de novembre à attendre fébrile les dernières annonces en vue d’hypothétiques examens…. A ce lundi, un hôtel sur la Lagune, au coeur de Venise. A vivre comme un cadeau ce moment magique et totalement privilégié. Comment la vie s’y prend-elle pour nous faire passer du désespoir le plus complet au bonheur le plus parfait ? Et comment fait cette ville pour nous mettre dans un tel état de félicité ? Elle enveloppe de brume-embrume vos soucis, le monde sous covid, et vous offre une parenthèse enchantée.
Patrimoine Mondial de l’Immunité
Venise, 2 novembre 2020. 22 cas pour 100 000 habitants. Venise Patrimoine mondial protégé. Venise, refuge anti-covid. Venise épargnée par la pandémie, où mille précautions sont appliquées. Prise de température à l’entrée de chaque hôtel, chaque musée, chaque boutique, chaque église. Venise où le Carnaval se célèbre désormais toute l’année. Visages dissimulés H24, on ne quitte le masque que pour le coucher. Mains ensanglantés à force d’être « gelées ». Le prix à payer pour découvrir la Belle dans des conditions privilégiées. On me répète à l’envie que cette expérience de Venise-là est unique. Je veux bien l’entendre. Je n’ai cependant pas moyen de le vérifier, n’ayant jamais foulé sa lagune assaillie par des centaines de milliers de passants. C’était le monde d’avant. Celui des manifs anti-touristes. Celui de la grande évasion. Celui qui a transformé cette cité en parc d’attractions. Un parc d’attractions désormais vidé de ses visiteurs. Y reste les figurants. Quelques dizaines de milliers d’habitants qui vivent du monde, des revenus du parc et qui pour la majorité ont baissé le rideau. Pour un temps, l’espèrent-ils. Le temps de penser au tourisme d’après. Plus respectueux, plus raisonnable. En attendant ils oscillent entre crainte et résignation. Désoeuvrés, ils échangent volontiers. Gèrent l’incertitude bravement. Vous sont reconnaissants d’avoir résister à la peur. Aux frontières fermées. Aux injonctions d’assignation. Venise, l’an dernier 27 millions de visiteurs, cette année… 10 ! lol.
Venise Patrimoine mondial de l’Humanité. Ville consacrée musée donc, pièce de théâtre figée, destin tout tracé de ces lieux estampillés par une faîtière qui a par ailleurs récemment menacé la Sérénissime de lui retirer son titre. La raison ? Elle aurait perdu de son authenticité…. Nan sans blague ? Étonnant… Effet pervers et classique du Label UNESCO…. Venise dont le destin a totalement basculé avec la pandémie. Car Venise appartient au Monde. Un monde confiné. Ses véritables habitants donc, qui se contentent d’un permis de résidence low cost car ils passent en moyenne 8 heures sur place, ont déserté. Venise, parc d’attractions sans visiteurs. L’occasion d’un retour de ses habitants exilés sur la terre ferme ? D’une re-territorialisation par les locaux ? La pandémie aurait au moins eu ça de bon…
Venise, de la Ville globale à la vie locale
Une cité rendue à ses habitants… ou à personne…
Les indécents bateaux de croisière, ceux-là même contre lesquels on manifestait l’an dernier, je n’en croiserai aucun. Sur le Pont du Rialto pris d’assaut, point de touristes, mais une manifestation anti-mesures-anti-covid 100% vénitienne. Libertad ! A peine une dizaine d’invités triés sur le volet pour assister au concert désormais « privé » du mythique Café Florian. Des Campos rendus aux pigeons. Le Palazo Ducale réquisitionné pour Tom Cruise et l’imposante logistique de Mission Impossible 7ème du nom. Distraction bienvenue le soir tombé. Au bord du Canal, des gondoliers désespérés. Sur les terrasses, des étudiants qui dégustent un dernier Spritz avant un au revoir à durée indéterminée en vue d’un imminent reconfinement. Des familles masquées qui échangent joyeusement à la sortie des écoles. Venise a des allures de parc d’attractions désaffecté réinvesti par tous ses fantômes. De l’espace pour y croiser au fond de ses ruelles tantôt Goethe, Goldoni Marco Polo ou Casanova. Youpi 🙂
De la beauté pour l’immunité
Non, d’indécents bateaux de croisière, je n’en croiserai aucun. Le terminal est désert. Quant à moi, après l’intense expérience de mon accostage vénitien, je vais passer cinq jours à me perdre dans ses ruelles. A prier dans toutes les églises de la cité pour la non-réélection de Mr T. A pénétrer aussi dans ses églises d’art contemporain tout en fantasmant sur ses biennales. A découvrir ses ghettos. A déguster spritz, proseco, belini, cappucino, dolce, gelato, frito misto, canolo… A chercher le musée d’histoire de la ville que forcément je ne trouverai jamais étant donné que la ville elle-même est un livre d’Histoire à ciel ouvert. Chacun de ses palais, chacun de ses musées, chacune de ses ruelles. Cinq jours insuffisants pour s’immerger dans son mode de vie, pour savoir par exemple qu’on prend son petit déjeuner, caffè-cornetto, debout au comptoir, que le cappucino s’apprécie uniquement en matinée, le maccetino lui volant la vedette l’après-midi, qu’on boit son spritz avec des ciccio, équivalent du tapas espagnol… Un rituel qu’on aura guère l’occasion de goûter lorsque le couvre-feu de la consommation sonne à 18 heures, l’heure de rejoindre ses compagnons de route littéraires avec qui prolonger l’expérience en soirée…
A Venise surtout, j’ai dégusté la beauté, la beauté partout. Qui vous aveugle, qui vous émeut, qui vous ravit et je revis. Qui éloigne le temps d’un instant le chagrin du monde sous covid, de cette période « particulière » (j’en peux plus de cette formule), du monde qui s’éloigne, se referme, qui chaque jour se rétrécit. Voir Venise et… survivre… La poésie de la beauté comme meilleur boosteur d’immunité. En période de pandémie, VeniceLand redevient Venise. La cité se ré-enveloppe de son voile de mystère. Venise soeur de mystères d’Istanbul, aux airs bizantins. Venise qui lorgne vers l’Est. Venise fille de tous les empires. Venise imprégnée de tous les courants. Venise qui pour survivre a surfé sur toutes les marées. Venise cité pragmatique, donc accueillante…Venise une rêverie un fantasme un mythe. Venise sa lagune, sa brume, sa lumière d’automne hypnotisante. Aura. Couleurs. Dédales. Ruelles. Se perdre. Ne faire que ça. Se retrouver. Retrouver son deuxième moi. Je m’étais manquée.
Raz-de-marée
A l’image de Venise, en pleine deuxième vague, j’ai esquivé de tout mon saoul le raz-de-marée. Je deviens une véritable experte au jeu du Lock me if you can. C’est notre nouvelle réalité. C’est comme cette immense vague dans un film catastrophe qui menace de nous rattraper, et on court on court on court de toutes ses forces pour juste à temps lui échapper. C’est comme ça. Ainsi j’ai quitté Genève à 7h39 au matin du reconfinement, je quitte Venise à quelques heures d’un durcissement des mesures, après avoir suivi avec anxiété le suspense quotidien de leur annonce imminente. Comme un raz-de-marée. L’étau se resserre, on est faits comme des rats. Plus guère d’échappatoire, juste le temps d’une respiration. Année d’examens. Année confinée, forcément. Après 15 mois sans avion et quasiment sans déplacement mon bilan carbone est excellent. Pis je prends toutes les précautions. Par civisme, par terreur que la vie ne s’arrête trop longtemps. Je n’affiche pas mon intention. Je tais mon départ. Autour de moi, seuls quelques proches sont au courant. C’est de la science-fiction. Anyway, je ne suis pas peu fière d’avoir déniché et atteint le seul lieu envisageable et qui de surcroît makes so much sense pour ce projet. Venise, Ville-Monde confluence de la Méditerranée, aux carrefours des anciennes et des Nouvelles Routes de la Soie, micro République aux nombreuses similitudes avec ma cité, érigée en VeniceLand par labels et tourisme mondialisés. En passe une nouvelle fois de se réinventer.
Venise, une histoire de Ville-Monde tournée vers l'Ailleurs qui appartient au Monde
Hauts les coeurs
Cette pandémie aura eu ça de bon qu’après avoir appris à gérer l’incertitude, à gagner en résilience on gagne en reconnaissance aussi. Moi je n’ai qu’un mot à dire pour exprimer la joie immense d’avoir eu droit à cette respiration inespérée : MERCI. Merci à ces cités-monde que j’aime tant et dont j’ignore totalement la destinée post-mondialisation, post-pandémie, post-dramas, post-global change. Est-ce qu’on doit laisser mourir Venise ou Beyrouth ? Doit-on abandonner ces lieux de la grande rencontre mondiale, ces lieux de vitalité ? Pour ma part j’ai décidé de résister aller voir si la rencontre est toujours possible si le mouvement n’est pas totalement entravé. Se porter volontaire pour que puissent rester à l’abri ceux qui ont peur. Par empathie évidemment 😉 Pour la sociologie forcément. Maintenir le lien, soutenir le Glocal, c’est résister. Au final personne ne me demandera mon attestation. Je déguste je savoure je revis d’être sortie. Avec une immunité reboostée et un risque amoindri d’engorger les hôpitaux. Et promis, maintenant je rentre me confiner bien sagement.
Compagnons de Vaporetto
- Trois Saisons à Venise, Matthias Zschokke, 2014, Zoe
- Le Routard Venise, Murano, Burano et Torcello, 2020
- Venise Ville Monde, France Culture, Laure Adler
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