La Ville-Monde

« Un jour enfin, nous sommes entrés dans la baie de New York. Le paquebot se dirigeait lentement vers la petite île d’Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne l’oublierai jamais. Nous dansions et criions. Une agitation frénétique avait pris possession du pont. Tout le monde voulait voir la terre nouvelle. (…)

scorta

Lorsque enfin le bateau fut à quai, nous descendîmes dans un brouhaha de joie et d’impatience. La foule emplit le grand hall de la petite île. Le monde entier était là. Nous entendions parler des langues que nous prîmes d’abord pour du milanais ou du romain, mais nous dûmes ensuite convenir que ce qui se passait ici était bien plus vaste. Le monde entier nous entourait. Nous aurions pu nous sentir perdus. Nous étions étrangers. Nous ne comprenions rien. Mais un sentiment étrange nous envahit, don Salvatore. Nous avions la conviction que nous étions ici à notre place. Là, au milieu de ces égarés, dans ce tumulte de voix et d’accents, nous étions chez nous. Ceux qui nous entouraient étaient nos frères, par la crasse qu’ils portaient au visage. Par la peur qui leur serrait le ventre, comme à nous. Don Giorgio avait eu raison. C’est ici qu’était notre place. Dans ce pays qui ne ressemblait à aucun autre. Nous étions en Amérique et plus rien ne nous faisait peur. Notre vie à Montepuccio nous semblait désormais lointaine et laide. Nous étions en Amérique et nos nuits étaient traversées de rêves joyeux et affamés. » (pages 92-93)

Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé, Actes Sud, 2004

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Le Mouvement, autre temps, tout le temps…

« Il était devenu passeur et ne faisait plus que cela. De la côte albanaise à la côte des Pouilles, sans cesse, il prenait et déposait des étrangers venus tenter leur chance : des jeunes gens, maigres d’avoir trop peu mangé, qui fixaient la côte italienne avec un regard d’affamé. Des jeunes gens dont les mains tremblaient, impatientes de travailler. Ils allaient aborder une terre nouvelle. Ils vendraient leur force de travail à qui en voudrait. (…)

Le monde se déversait dans sa barque. C’était comme des saisons. Il voyait venir à lui les habitants des pays sinistrés. Il lui semblait prendre le pouls de la planète. Il voyait les Albanais, les Iraniens, les Chinois, les Nigériens. Tous passaient par sa barque étroite. » (pages 237-238)

Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé, Actes Sud, 2004

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Le chiffre 

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