A lire en miroir « Non retour en enclave » & « Élections présidentielles françaises«
On va faire court !
Hambourg, Marseille, caravane, campagne, en mai je fais ce qu’il me plaît ! Ce mai-ci suis en escapades, suis en campagne, suis en enclave 🙂
4-7 mai. Séjour à Hambourg avec fréro. Choix de la destination, atteints nous aussi par le virus du « retour » ? Je ne saurai le dire… Ce que je sais en revanche c’est qu’Hambourg avant nos origines c’est d’abord un port, un port qui de surcroît célèbre ce week-end-là la plus grande fête portuaire du monde. Un port. Quel endroit plus tourné vers le dehors, l’ailleurs, les échanges, le commerce, qu’un port ? Un port dans une ville hyper dynamique dans un pays qui a accueilli l’an dernier plus d’un million de réfugiés. Pas mal comme racines non ?
Carte d’Identité de cette Ville-État, deuxième métropole d’Allemagne qui compte près de 1.8 million d’habitants et fut un des membres fondateurs de la Ligue hanséatique, une appartenance apparemment encore revendiquée et caractéristique de son identité.
« Plus vaste métropole d’Allemagne après Berlin, plus puissante économiquement que la capitale, la ville-Etat de Hambourg produit un visage bien singulier pour une cité allemande. Plus nordique que germanique, hanséatique que continentale, la porte sur le monde distille les essences improbables de ses voisines : un air de Londres, Copenhague, Amsterdam flotte aux quatre coins de ses ruelles. Ce n’est pas en un décor muséal ancré que l’on navigue, mais bien au gré d’une agglomération mouvante, sulfureuse et affairée. Cette ville moderne se vit plus qu’elle ne se voit, elle tempête, s’éprouve, s’agite, s’hume au travers de son Quartier rouge ou de son port. Bourgeoise et lascive, hospitalière et recluse à la fois, Hambourg entretient une multiplicité mutine autour d’une identité truculente à découvrir sans tarder…
Hambourg la marchande, la bourgeoise, la marine, l’ouvrière, la dépravée, l’immigrée, la pluvieuse, l’avant-gardiste; Hambourg déploie une telle panoplie de visages qu’elle pourra faire vibrer des cordes bien différentes. » (Hambourg 2017 Petit Futé)
Bon Hambourg a beau être la ville la « plus multiculturelle » d’Allemagne, je n’ai pas particulièrement trouvé la fréquentation de ces célébrations portuaires démographiquement très métissée. Par contre j’ai retrouvé ce côté un peu désuet et un peu suranné que j’associe à l’Allemagne… Et si je n’ai pas ressenti la connexion particulière que j’aurais peut-être dû avec le lieu, je suis toujours aussi fascinée par les ports, les paysages industriels. D’Allemagne ou d’ailleurs.
Sinon, ailleurs, en ce joli mois de mai… après la victoire d’Emmanuel M., le trend politique positif se poursuit : le 19 mai le modéré Hassan Rohani et sa politique d’ouverture et de libéralisme mesuré sont réélus en Iran avec 57% des voix et ont réussi à affaiblir les conservateurs et leur campagne populiste. « Le peuple iranien a choisi la voie de l’entente avec le monde » (Hassan Rohani).
Et le 16 mai y’a aussi eu l’Annonce du Gouvernement Macron. Au casting on retrouve entre autres Gérard Collomb l’artisan du Grand Lyon, Françoise Nyssen, présidente des éditions Actes Sud, François Bayrou le « premier Macron », Nicolas Hulot qu’on ne présente plus, des personnages plutôt convaincus et convaincants... enthousiasmant. Sans oublier Edouard Philippe, un Premier Ministre Maire du Havre, décidément c’est le mois des ports….
En mai aussi, j’ai super froid le soir dans ma caravane et je me demanderais presque ce que je fais là haha. Alors pour me réchauffer je m’offre une escale à Singapour avec « Ilo Ilo« . Et après avoir vu cette histoire d’amitié entre une nounou philippine sans droit et un jeune garçon singapourien c’est certain, de retour dans ma banlieue-village genevoise je ne verrai plus jamais du même oeil le convoi de nounous que je vois descendre du bus pour se rendre dans les quartiers de villas chaque matin… Les réseaux transnationaux, un concept bien concret quand tu vis dans une Ville-monde, la mondialisation, une réalité.
Bon allez, je suis gelée, je rentre chez moi mater le premier On est pas couchés post-élex Macron, pour prendre la température. Et oh surprise le ton est bienveillant envers le nouveau président et son Gouvernement. Finalement les gens sont peut-être contents du nouveau discours. Même mon fréro m’avoue avoir réfléchi et s’être renseigné depuis nos débats à Hambourg et être devenu Macron-posture-convaincu….
Bon l’Hybride va quand même avoir du taf s’il veut convaincre tous les gens rentrer à la maison que cette dernière se conjugue aisément avec le monde aussi… Dans le même ONPC, le grand voyageur désormais parti sur les chemins noirs Sylvain Tesson (lien Gazette) nous fournit l’explication de son « revirement » « Il n’y a pas de contradiction entre le réactionnaire et le grand voyageur. C’est justement parce que j’aime trop les différences que je ne peux pas aimer le métissage… »
Il aime trop les différences pour aimer le métissage... Bon tant pis ou tant mieux pour lui. Tournons-nous vers des Etonnants Voyageurs (moi aussi suis nostalgique, … de mes errances ) pour clore ce beau mois de mai, qui publient un nouveau manifeste adapté à l’époque.
« Nous sommes plus grands que nous »
Chaque jour nous le rappelle, s’il en était besoin : il n’est pas de question plus urgente, ici, au plus près de nous, comme à l’échelle du monde, que celle de la démocratie. Partout menacée, comme si nous avions perdu ce qui lui donnait sens, et qu’il s’agit de retrouver, pour la défendre. Parce qu’elle engage une idée de l’être humain et de sa liberté.
Pourquoi les fanatiques, s’acharnent-ils à détruire, à Palmyre et ailleurs, les manifestations du génie créateur de l’être humain? Parce qu’elles témoignent d’une dimension, en nous, qu’ils veulent à toute force nier et dans laquelle la plus immense diversité exprime une immense unité. Retrouver l’élan démocratique, aujourd’hui, exige de retrouver le sens de cette grandeur.
Etat d’urgence
Qui ne la sent pas venir ? Comme une fatigue de la démocratie, une moindre envie d’être ensemble, la tentation, liée, d’une montée aux extrêmes qui nous débarrasserait, croit-on, du chaos menaçant, permettrait de retrouver un monde simple, ordonné. Et cette impression d’un corps social devenu le théâtre de nos irritations réciproques, sans capacité de réaction lorsqu’ailleurs – mais ailleurs, seulement ? – se déploie une haine radicale, absolue de la démocratie, une guerre à mort décrétée par tous les intégristes.
Fatigue, mais aussi impatience.
Fatigue d’une démocratie perçue à bout de souffle, quand vient le sentiment de n’être plus «représenté». Et impatience, attente, désir d’une démocratie renouvelée, retrouvant chair et âme. Comment ne pas voir qu’elles vont souvent de pair, et que cette attente travaille la société en ses tréfonds ? La démocratie, restituée à ses fondements, peut être une idée neuve. Et la seule réponse aux intégristes et aux prophètes de la peur.
Qu’est-ce qu’un être humain ?
Qu’est ce qu’un être humain ? La question nous est brutalement posée par les migrants, quand la Méditerranée devient un immense cimetière, aux portes de nos démocraties, et nous savons bien que c’est une certaine idée de nous-mêmes, de ce que nous pouvons faire ensemble, de ce que nous pouvons être ensemble, qui meurt un peu plus chaque jour, avec eux. Qu’est-ce qu’un être humain ?
En cette période électorale, il aura été débattu de tout, sauf de l’essentiel: de nous-mêmes. De l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, autrement dit des autres. De cette dimension en chacun, pour reprendre les mots d’Edouard Glissant, que n’épuisent pas le «produire» et le «consommer» à quoi on prétend le réduire, de cette dimension «poétique» qui fait la richesse de la vie, affirme notre fondamentale liberté.
Démocratie-littérature : même enjeu
La démocratie, sauf à devenir coquille vide, ne peut se réduire à des institutions, des règles et des lois – qui ne gardent sens et force qu’en s’arrimant à l’idée qui les fonda.
Et il n’est pas de «pacte citoyen» qui tienne, s’il ne se nourrit pas de cette habitation du monde, de cette idée de soi et des autres, portée par les milliers d’œuvres qui forment une culture, où se reflètent les autres cultures, et qui témoignent ainsi des possibles infinis de nos imaginaires. Sans échange, sans ouverture, la culture est une asphyxie lente et inexorable. Nous devons, pour notre survie, ouvrir notre esprit aux autres cultures: loin de nous menacer, elles nous apportent sang neuf et respiration. Il ne suffira plus désormais de voisiner avec les cultures entrantes, nous devons changer en échangeant, devenir autres, éduquer nos enfants dans cette pluralité relationnelle.
Pas plus que la démocratie ne se résume à Rome, à Athènes, ou à la simple loi de la majorité: elle est ce pari fou, impossible, fragile, toujours en péril de se perdre, mais qui peut-être tire sa force de sa fragilité même, d’une possible communauté des êtres humains fondée sur la reconnaissance de la radicale singularité de chacun, de sa capacité à transcender ce qui prétend le déterminer et le contraindre, de sa fondamentale liberté d’être et de devenir.
Pari impossible ? C’est pourtant le «miracle» dont témoignent le poème, le roman, l’œuvre d’art, expressions de la singularité d’un artiste, et qui n’en éveillent pas moins en chacun des échos, le reconduisent au sentiment de sa propre grandeur, créent de l’être-ensemble…
Aucune pensée des temps nouveaux, aucune politique ne vaudront si elles ne se bâtissent pas sur cette idée plus vaste de l’être humain.
Gagner la bataille de la culture
Ouvrons les yeux : nous sommes en train de perdre la bataille de la culture. Il ne suffit pas de brandir, tel un talisman, le mot «culture» face à la barbarie: toutes les cultures ne se valent pas. Il y eut une culture nazie, des philosophes nazis, des écrivains et des artistes nazis. C’est d’un combat à l’intérieur de la culture qu’il s’agit. Ce qui suppose, sans rien oublier des horreurs de l’histoire, que l’on retrouve cette idée de l’être humain qui fit notre génie. Et que cesse ce vertige du dénigrement, de la haine de soi où puisent si généreusement aujourd’hui ceux qui nous ont déclaré la guerre.
Mozart n’est pas Hitler, nous ne sommes pas les universels coupables de tout. C’est au nom de cette idée plus grande de l’être humain qui fit le flamboiement de notre culture que tant se sont levés pour résister, combattre, prendre la défense des droits de l’homme partout où ils se trouvaient bafoués, et d’abord au plus près, dans l’espace colonial. C’est au nom de cette idée, que partout, dans les pays totalitaires, ou sous le joug des fanatiques, se battent ceux qui revendiquent aujourd’hui leur liberté – à commencer par les femmes.
Crise de la démocratie ? Urgence de la littérature, face aux monstres qui menacent. Pour nous rappeler, contre tous ceux qui, jour après jour, prétendent nous rapetisser, que nous sommes plus grands que nous.
Par Michel Le Bris, Erik Orsenna, Patrick Chamoiseau, J.M.G. Le Clézio, Tahar Ben Jelloun, Yann Queffélec, Laurent Gaudé, Jemia Le Clézio, Jean Rouaud, Boualem Sansal, Atiq Rahimi, Carole Martinez, Kamel Daoud, Simone Schwarz-Bart, Paule Constant, Hubert Haddad, Enki Bilal, Raphaël Glucksmann, Bertrand Tavernier, Björn Larsson, Jean-Marie Blas de Roblès, Abdennour Bidar, Ananda Devi, Lieve Joris, Anna Moï, Velibor Colic, Zéno Bianu, Yahia Belaskri, Louis-Philippe Dalembert, Yvon Le Men, Bernard Chambaz, Sami Tchak, Patrick Raynal, Makenzy Orcel, Frankétienne, Georges-Olivier Châteaureynaud, Sorj Chalandon, Christine Jordis, Pierre Péju, Didier Daeninckx, François Bon, Jean-Luc Coatalem, Colette Fellous, Pierre Haski, Koffi Kwahulé, James Noël, Jean-Pierre Perrin, Olivier Weber, Michèle Kahn, Nicolas Idier, Jean Hatzfeld, Abdourahman Waberi, Malika Boussouf, Nedim Gürsel, Christophe Bataille, Ousmane Diarra, Jérôme Garcin, Gary Victor, Gisèle Pineau, Marcus Malte.