A Lire en filigrane : Présidentielle France 2017
Le vent serait-il en train de tourner ?
Au sommaire de cette Gazette, une républicaine en combat, un intellectuel camusien, une fable d’aéroport, de « l’ethnographie locale », une quête d’amour européen, des discours identitaires, de nouvelles voi(x)es et pour terminer en beauté un florilège de ptits trends encourageants…
Ce mois-ci j’ai été tour à tour
Émue devant...
Le portrait de Latifa Ibn Ziaten, « Latifa, une femme dans la République » (Jarmila Buzkova, 2016, France 2, 7 mars 2017). « Mère du premier militaire assassiné par Mohamed Merah lors de sa cavale meurtrière en mars 2012, Latifa Ibn Ziaten prend la parole pour évoquer son deuil et le combat qui l’anime. Convaincue que la prévention est une solution face à la violence, elle s’emploie à sensibiliser le jeune public au risque djihadiste. Quelques jours après le drame, elle s’était rendue sur les traces du bourreau de son fils Imad.«
Latifa Ibn Ziaten c’est une nouvelle figure de tolérance républicaine. C’est la sincérité, la preuve par l’exemple, le franc-parler. Du coup les gens l’écoutent Latifa, elle est respectée. Latifa ne victimise pas ses auditeurs. Elle leur dit : « Vous êtes là, vous êtes nés ici » – ils lui disent « Regardez où on habite, enfermés dans le ghetto » – Elle insiste « Investissez ici, pour rendre vos enfants heureux ici au lieu de vous contenter de l’être là-bas un mois par an et rendre vos enfants malheureux ».
Elle dit : il ne s’agit pas d’oublier d’où l’on vient, ni notre religion, mais de le vivre avec modération. Elle-même ne manque jamais les vacances au Maroc, le retour aux racines, l’occasion de transmettre la culture. Elle dit encore « Noirs ou blancs, musulmans ou chrétiens, des banlieues ou d’ailleurs, « Vous êtes tous les enfants de la République ». Elle dit « L’État ne doit pas non ce sont vous les parents qui devez prendre soin de vos enfants, vous les jeunes qui devez poussez les portes, vous imposer« . Elle rectifie la confusion entre identité, croyance et nationalité. « L’Islam n’est pas une identité, pas une nationalité« . S’oppose aux parents qui passent leur identité à leurs enfants, et à ceux qui lui confient « Mes parents me disent n’oublie pas d’où tu viens » elle répond « mais non tu viens d’ici, eux d’où ils viennent, mais pas toi » et aux parents « Moi j’oublie pas d’où je viens, mais je dis à mon fils tu es français« . S’adresse à l’école républicaine aussi, « quand on parle d’immigrés pour parler d’enfants français… Immigrés de où, de quoi ?«
Elle s’insurge enfin, contre l’enfermement communautaire, imposé « Comment on peut enfermer des gens dans des ghettos sans mixité et leur demander de s’intégrer ??? S’intégrer à quoi, à qui ??? Il faut ouvrir les ghettos et mélanger les gens » ou choisi « Vous devez pratiquer un islam républicain, bien sûr que ça nécessite des compromis, mais la solution c’est quoi, être tellement strict dans sa pratique que l’unique voie est de rester chez soi tout seul à prier ?«
Bref, Latifa, elle prêche pour la mixité, le bon combo entre Ici et Là-bas.
Bluffée par…
Parole de tolérance aussi chez Abd Al Malik venu parler de sa rencontre avec Albert Camus… (France 24, 22 janvier 2017, A l’affiche) Extraits
« Ma feuille de route ça a été cette préface de « L’envers et l’endroit » où Camus parle du fait qu’il s’agit toujours de resté connecté à ses origines, d’où l’on vient, mais avec cette idée non seulement d’aller vers l’autre, mais dans cette idée de dire finalement que je suis moi par l’autre, grâce à l’autre, cette idée d’universel, et dire qu’il faut quoi qu’il advienne, même si le monde autour est obscur, il faut rester droit il faut pas se laisser contaminer par l’obscurité. »
« Ok, je parle de mon histoire propre, personnel, de ma communauté, mais c’est toujours une métaphore, une allégorie de la communauté humaine, c’est à dire l’idée c’est de dire que l’universel est fait de tous les particularismes, et voilà ce que m’a enseigné Camus et ce que m’enseigne Camus au quotidien. »
« L’art permet de transcender sa condition mais aussi de créer des passerelles, d’échanger avec les autres, des gens de milieu socio-culturels différents, et voilà, échanger et grandir et au fur et à mesure c’est devenu quelque chose de vital à la fois pour nous mais aussi dans cette idée de dire que la vraie subversion aujourd’hui elle se trouve dans la capacité qu’on aura à faire du lien avec les autres différents, la capacité qu’on aura finalement à être dans l’échange et à parler … je vais dire un grand mot un gros mot pour certains même mais à parler d’amour véritablement. »
« Si on traverse une crise c’est une crise référentielle, une crise de modèles en fait. Parce qu’on a besoin du regard de l’autre pour devenir soi, mais on a aussi besoin d’une certaine manière de se voir en mouvement, et se voir en mouvement c’est voir des personnes qui partagent nos idéaux, des personnes qui viennent du même milieu que nous et qui ont réussi à faire quelque chose de leur vie. Et c’est vrai que quand on vient de cité, on a souvent des modèles négatifs, … »
Sur la radicalisation, le djihadisme. « Moi ça fait plus d’une dizaine d’années que je parle de ça, que j’explique qu’il est important que la France puisse connaître et comprendre toutes les religions qui la composent aussi et c’est vrai que laisser les gens de banlieues en périphéries au sens physique et concret c’est à dire finalement on s’intéresse pas ou peu ou pas assez à eux et ben d’une certaine manière il se passe des choses qu’on ne saisit pas qu’on ne comprend pas. Et en vérité cette radicalisation-là elle vient de ça elle vient du fait que non seulement dans la société on n’a pas tant de modèles positifs que ça qui nous ressemblent on n’a pas de personne finalement qui vantent de manière pertinente et intelligente ces notions de laïcité qui sont vitales et importantes pour le bien vivre ensemble et ces personnes qui nous disent que la spiritualité c’est quelque chose d’intime et de personnel et que ça doit pas être instrumentalisé. »
A suivi une autre voie « Parce que justement non seulement je rencontre des figures, je parle de ces enseignants, mais la littérature, quand on fréquente des gens comme Albert Camus à longueur de temps et ben forcément on fait fonctionner notre intelligence et on comprend que la notion de débat, d’échanges, d’idées contradictoires c’est important et du coup on grandit et puis on comprend que la religion quand elle est pas nourrit par l’intelligence, par la spiritualité véritable ça devient quelque chose de vide, c’est une coquille vide. Et on comprend finalement qu’on peut être éminemment spirituel sans être nécessairement dans une religion quelconque, et c’est dans ce sens-là que Camus est un être éminemment spirituel même s’il ne croit pas en Dieu. »
A participé au doublage du film The Birth of a Nation. « Ce film parle de l’esclavagisme mais ce film parle d’aujourd’hui. Les thématiques abordées il nous parle de la racialisation de l‘instrumentalisation de la religion il nous parle de la victimisation des victimes et finalement il nous parle de la pertinence aussi du cinéma aujourd’hui, sa capacité à être à la fois dans le divertissement mais à la fois aussi dans une démarche prise de conscience et de comprendre finalement qu’on doit être capables de déposer nos sacs de douleurs et regarder notre passé, aussi difficile qu’il soit le regarder dans les yeux et dire il s’est passé ça, maintenant travaillons ensemble pour aujourd’hui et demain pour évidemment que ces choses ne se produisent pas mais surtout qu’on reste vigilants parce que rien n’est acquis. »
A lire : Qu’Allah bénisse la France (2014) / Camus, l’art de la révolte (2017)
Dubitative devant…
Après « Tour de France » sort l’enquête « Dans quelle France on vit » de la grande reporter Anne Nivat. Ces brillants journalistes, animés sans doute par la bienveillance et la bonne volonté, ne seraient-ils pas cependant entrés dans le piège de Français qui feraient de l’ethno sur d’autres Français ? Présentation de l’éditeur : « Pour cette immersion dans six villes de France, à l’heure où les journalistes sont parfois taxés d’arrogance, la reporter de terrain se place à hauteur de ces femmes et de ces hommes côtoyés durant des semaines, chez qui elle a vécu. » D’accord… (lien)
Transportée par…
Le film Bird People. Fable contemporaine sur la poésie des espaces standardisés, uniformisés, des non-lieux globalisés et de ceux qui les traversent les « habitent ». RER, aéroports, chaînes hôtelières aseptisées… Bien sûr on s’interroge sur la solitude, sur le sens de ces existences… Mais la poésie se cache partout pour qui veut ouvrir les yeux. Et de/entre ces fuites interconnectées, quelque chose se créé… Lien, renaissance, possibilités…
Nostalgique devant…
Le film « Europe she loves« …
« Europe on the verge of social and economic change. A close up into the shaken vision of 4 couples, daily struggles, fights, kids, sex and passion. A movie about the politics of love. » (lien)
2001-2016 De « l’Auberge espagnole » à « Europe she loves« … De … réunis par l’espoir à séparés par la crise. D’une vision solaire et optimiste à une vision désenchantée et gloomy. On est plus dans le même monde. Changement d’ère, de récit, de paradigme de société… Xavier prenait l’avion pour embrasser les opportunités de la mondialisation, ces amoureux-ci pour fuir la crise qu’elle a engendrée… Entre ces deux avions… 15 ans.
Génération Erasmus, une page est tournée (article PC) Pour un de mes couples de cosmopolites l’épilogue est déchirant. Pour faire leur adieu très cosmopolite au nomade Karl, des jeunes gens ont pris l’avion du monde entier. Beaucoup de larmes et autant de langues…
Attristée aussi par…
Le repli culturel et nationaliste. Alors que plusieurs régions françaises adoptent la Clause Molière – qui consiste à imposer aux entreprises qui obtiennent des marchés publics d’employer des ouvriers qui maîtrisent le français – Mr T annonce une réduction de budget de 30% pour les Organisations internationales.
La transnationalisation géopolitique, à défaut d’être culturelle… La Turquie se brouille avec la Suisse qui annule un meeting en faveur du référendum, avec l’Allemagne aussi, où une partie de la diaspora fait défaut d’allégeance… Mais il a aussi ses adeptes, des pro-régimes territoire dans une terre ouverte.
La transformation des Villes-Monde économiques en citadelles du pouvoir, d’un pouvoir endurci, citadelles contrôlées, « ennationalisées ». Aujourd’hui Istanbul déjà, demain NYC ?
Dans ce contexte d’évolutions politiques, de renforcement du protectionnisme, c’est légitimement qu’après la diffusion d’un documentaire sur le Port du Havre (LIEN PC), Marina Carrère d’Encausse s’interroge sur l’avenir des échanges et en débat avec ses invités.
Ils débattent plus particulièrement sur le sort du transport maritime qui pour Paul Tourret, directeur ISEMA Institut supérieur d’économie maritime, n’est que le miroir de nos échanges.
Quand à l’avenir, « Alors là c’est la grande interrogation pour tout le monde. C’est à dire que le transport maritime c’est fait pour l’hyper globalisation, et donc il s’est formaté pour quelque chose. Alors il s’est surformaté avant la crise de Lehmann Brothers et la crise de 2008 ce qui fait qu’il était déjà en difficulté. Aujourd’hui il arrive à retrouver un point d’équilibre, le seul problème c’est que le monde est en train de changer. Est-ce que les échanges de demain seront comme ça ? Donc on a un vrai problème sur cette économie maritime qui est peut-être formaté sur un monde qui est en train de disparaître, peut-être il faut pas le souhaiter mais en tout cas on a de grosses interrogations, les élections américaines, demain les élections en Europe aussi, enfin on voit bien y’a un mouvement en tout cas dans les démocraties n’est pas favorable aujourd’hui à un hyper libre-échange, alors que des régimes comme la Turquie comme la Chine y sont plus favorables, c’est un des paradoxes de notre époque. »
Ce grand méchant commerce mondial, bientôt over ?…
Revigorée par…
Une nouvelle voix. Dieu merci, l’Europe, la mondialisation, certains y croient encore. Comme Emmanuel Macron. Pro UE avec politique sociale-libérale. Progressiste. Jeune. Moderne. Après le Brexit et le sacre de Mister T, comment ne pas se laisser séduire ?
Une nouvelle voie. Les échanges se poursuivront. Ils prendront juste d’autres voies. Ils reprendront sans doute la Route de la Soie…
Quoi, de nouvelles routes on n’en veut plus ? Mais si, c’est juste que pour éviter au monde de se rétracter, il faut d’abord qu’on se réconcilie avec le monstre. Demandons déjà leur aide aux romanciers, comme Véronique Ovaldé que j’ai entendu évoquer dans la Grande Librairie (2 mars) que dans le mot commerce, elle entendait aussi lien, relation à l’autre. Et si on revenait aux racines du mal, on s’attachait à retrouver l’authenticité non pas seulement des identités, mais du commerce aussi ?
Eclairée par …
Oui le monde est en pleine mutation. A défaut de se lamenter, il faut déjà tenter de le comprendre. En écoutant par exemple les discours qui nous éclairent sur le virus identitaire globalisé. Pour ce faire je me branche sur la Grande Librairie où l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert retrace l’itinéraire éclaté d’une famille juive pendant la Shoah avec «Avant que les ombres s’effacent» et Maryam Madjidi raconte l’exil d’une famille iranienne en France dans son premier roman, «Marx et la poupée» (Grande Librairie du 16 mars). Quant à Louise Erdrich (Grande Librairie du 23 mars) elle nous parle de Renaissance indienne, nous raconte ces jeunes Amérindiens soucieux de faire re-vivre leurs traditions. Comme ceux que j’ai découvert au détour d’une exposition à Toronto (Lien Toronto PC).
Qu’est-ce que nous disent ces auteurs ? Que le parcours identitaire est cheminement, qu’il comporte des étapes, souffrance, revendication, réappropriation, la voie peut prendre du temps avant de goûter au métissage heureux. A la position post-identitaire d’une Leïla Slimani. Une quête d’identité qui touche tous les citoyens d’ici, de souche ou d’ailleurs. Mais les artistes nous susurrent aussi que la réconciliation ne se fait pas forcément dans cette terre du Nord en plein questionnement en ce moment.
Gaël Faye lui a quitté la France pour le Rwanda il y a deux ans. Pour lui, « Faire pays c’est voir ce qui nous lie entre nous et le porter.« Et la France ne fait plus trop pays en ce moment. Exilé une fois exilé toujours, depuis l’âge de 13 ans et sa fuite du Burundi, l’artiste n’a jamais retrouvé un endroit où il avait l’impression qu’il habitait véritablement le lieu. Il a donc décidé d’errer jusqu’à retrouver un lieu où il trouve sa place. Opter pour une errance qui lui convient car il se sent citoyen du monde. En attendant, il essaie de faire de ses écrits des pays dans lesquels il se repose l’espace d’un instant. Gaël Faye nous dit aussi que l’appétence pour la mondialisation est question de perception. La jeunesse du Rwanda croit en l’avenir, en contraste avec une riche France désilusionnée. Il compare leur foi en l’avenir avec la façon dont est dépeinte la France pendant cette campagne présidentielle. Une foi qui engendre des idées qui font avancer les choses. (Emission Boomerang, France Inter, 29 mars).
Et pour terminer : le moment Good News
Petits trends politiques encourageants : victoire de la CDU de Merkel lors des élections régionales en Allemagne, résultats des élections aux Pays-Bas, des élections législatives cantonales en Suisse où en Valais comme à Neuchâtel on a assisté à une débâcle de l’UDC, échec du référendum anti-migrants en Hongrie, multiplication des ralliements à En Marche, solution suisse au vote populiste du 9 février 2014, c’est déjà pas mal non 🙂 ?
Et si vous en voulez encore, le mois de mars a marqué le retour de Barack Obama et avec lui, de l’optimisme. Il nous a présentés sa Fondation dont la jeunesse et la citoyenneté sont au coeur du projet et a réaffirmé sa détermination à militanter pour l’engagement des jeunes. «La chose la plus importante que je puisse faire est d’aider à préparer la prochaine génération de leaders à prendre le relais pour tenter de changer le monde», un engagement politique qui implique d’abattre es obstacles «Si on y parvient, tout se passera bien. Je suis toujours incroyablement optimiste». (Lien)
Oui le Monde est en pleine mutation. D’ailleurs j’écris cette Gazette dans le café bio-local-hipster « Roaster », anciennement « La Petite Italie »… Le monde est en pleine mutation, ma foi c’est ainsi. Recherchons la poésie partout, dans la nouveauté comme dans la nostalgie…