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Fin février, back from World-Cities
Alors je sais pas si je dois y voir un signe mais à peine débarquée de mes dernières escales en Villes-Monde, déjà envie de parler de tourisme… Naaan, en fait je viens de tomber sur un reportage sur l’explosion du tourisme en Islande et son ton a de suite piqué ma curiosité. On y entend des habitants se sentant victimes de leur succès. Prix qui flambent, bulle immobilière, bouleversement de cette terre tranquille… Décidément, quelles qu’elles soient, angle de vision contemporain des mobilités : une menace, un danger.
Du coup soyons sympas et laissons les Islandais un peu respirer et laissons un peu les Espagnols aussi qui défilent pour clamer qu’ils sont saturés. Faisons plutôt un véritable acte de résistance et précipitons-nous en masse dans d’autres pays qui pleurent eux aussi… chez les Egyptiens qui pleurent les 60% de touristes qu’ils ont perdus, dans les resorts ultra-sécurisés des Tunisiens, qui font tout pour développer leur jeune démocratie, ou encore soutenir nos cousins stambouliotes que notre compagnie aérienne boude pour la seconde année consécutive. Bon c’est vrai qu’avec l’autre dictateur c’est tendu ok. Mais y a encore plein d’autres pays méditerranéens.
Alors oublions un peu ces questions de religion, car croyez-moi, pour avoir goûté par le passé à ces escales méditerranéennes et revenir à peine d’une errance dans deux Villes-Monde musulmanes, on y est très bien reçus.
Le monde n’est autre qu’un grand plateau de jeu sur lequel il s’agit d’équilibrer les mouvements, quels qu’ils soient. Equilibre démographique, mais également géographique, culturel, religieux, …. Le truc c’est qu’aujourd’hui derrière cet équilibre toujours précaire se trouve toujours la question identitaire…
Tourisme, ceux qui pleurent, ceux qui saturent
Documentaires
Tourist Go Home – Venise, Barcelone, Dubrovnik : les ravages du tourisme de masse de Antje Christ – Arte, 2016, 55′, diffusé le 18.04.2017
Venise, Dubrovnik ou Barcelone ne veulent plus voir des paquebots géants déverser leurs hordes de touristes car « certes c’est bon pour le commerce mais désormais ils craignent de perdre leur identité« .
Mots du doc : état de siège, sentiment de faire partie d’un décor, invasion, masse, foule, submergés, dépossédés, résistance, perte d’authenticité, entreprise-ville, caisses vides, mono-activité, appauvrissement des compétences, ville devient un hôtel et administrée comme tel, musée à ciel ouvert, parc d’attraction, spéculation immobilière, problèmes de logement, coûts pour municipalité, gestion des déchets, environnement, bouleversement du tissu social, mythes, figurants, ville qui se vend à des groupes étrangers, évasion fiscale, peu de gagnants hormis les gros consortiums internationaux, nécessité de choisir un « modèle » de tourisme de concertation avec les citoyens, de + en + de gens veulent/peuvent voir ces trésors, comment le leur reprocher ?
D’autres voix : Diana Marlais, 26 ans, créatrice Escape Room à Dubrovnik. « Ce sont surtout les personnes âgées qui se plaignent de l’affluence touristique. De leur temps ces gens-là gagnaient leur vie en faisant toutes sortes de métiers. Désormais l’activité principale c’est le tourisme et les personnes âgées ont du mal à accepter ce changement. En fait elles aimeraient que tout reste comme avant mais nous les jeunes nous trouvons ce changement très positif, nous sommes contents des occasions que la mondialisation nous donne. Les jeunes sont contents quand ils peuvent travailler. »
Elisabeth Casanas, Barcelone, Portail « Pro Viviendas Turisticas ». « Sur notre site Pro Viviendas Turisticas nous rappelons que pratiquement 50% des personnes qui vivent de la location d’appartements pour touristes sont des femmes. Pour toutes ces femmes, comme pour moi-même, cela représente une occasion de travailler en indépendant, et de concilier notre activité professionnelle et notre vie de famille. » (…) « Je ne pense pas qu’on puisse résoudre les problèmes des uns en mettant des bâtons dans les roues des autres. A mon avis, la Mairie ne résoudra rien avec ce genre de stratégie. Au contraire, elle risque de renforcer non pas la touristophobie mais la xénophobie.«
Commentaire : « Barcelone est actuellement en plein paradoxe, les touristes suscitent une hostilité grandissante mais de nombreuses banderoles souhaitent la bienvenue aux réfugiés. Le tourisme de masse n’est pourtant pas apparu par hasard. Il est le résultat d’une politique qui des années durant à chercher à attirer toujours plus de visiteurs sans chercher à investir dans des appartements accessibles et des logements sociaux destinés aux habitants.«
Venise, David Bravo, architecte. « Il faut être conscient que ce que nous appelons le droit à la ville implique l’idée que l’espace public appartient à tout le monde, aux gens qui vivent sur place, et aux étrangers. Si nous oublions ce principe, nous risquons de nous engager sur un terrain extrêmement dangereux, celui de la xénophobie, du rejet des immigrants, et de tout ce qui vient d’ailleurs. Il est donc très important de comprendre cette idée, l’ennemi ce n’est pas le touriste, ce sont tous ceux qui soutiennent un système touristique qui concentre les profits sur un petit nombre de personnes et qui payer les pertes à l’ensemble de la ville. »
Délicate question : l’identité, le purisme, la purification… ou l’économie, la muséification, la saturation ? On y répondra sûrement pas mais en attendant je vous propose un deuxième docu, à visionner en miroir avec celui-ci. Vous allez voir, c’est finalement pas forcément là où l’on croit que la culture du visitant semble poser problème.
Tourisme et terrorisme : Tunisie, Egypte, Turquie « Trois pays dans la tourmente » de Eberhard Rühle, Arte, 2016, 55′, diffusé le 18.04.2017
Des souks vides à Djerba, au Caire, à Antalya, à Istanbul… Triste vision.
Tunisie. Une économie basée sur l’extérieur, le tourisme, la rencontre. Désarroi et misère qui menace à Djerba. Nouvelle démocratie mise à mal par la crise économique et la crise sociale qu’elle a engendrée. Des mosquées-associations caritatives viviers de recrutement pour les islamistes.
En Égypte, les allées des sites archéologiques de Louxor sont bien parsemées, heureusement les touristes des pays arabes sont en augmentation, par solidarité nous dit-on. Les Chinois aussi, depuis la visite de leur président. En bord de mer, une niche pour plongeurs tire son épingle du jeu. Leur solution, miser sur les voyages individuels vs les voyages organisés, le tourisme de masse. L’Égypte est redevenu un État policier. La sécurité avant le retour à la démocratie. Et dictature = sécurité. Pour le Ministre du Tourisme, pas question de laisser couler ce qui a été « le premier pays touristique du monde ».
Ahmed Noubi, chef du Bureau d’information du gouvernement à Louxor. « C’est un patrimoine qui appartient à l’humanité toute entière, nous devons tous ensemble préserver et restaurer toutes ces strates de civilisations. Les Grecs ont rapporté d’Égypte Antique la philosophie, la médecine et les sciences. La Grèce a été l’un des piliers de la civilisation européenne, notamment lors de la Renaissance. Et la civilisation américaine s’est construite à partir de la culture européenne. Vous voyez, tout est lié à l’Égypte. »
A Istanbul, la fréquentation a chuté d’un tiers après les attaques de 2016 qui ont été suivies du coup d’État de juillet, et d’une répression politique trop musclée. Antalya a perdu 75% de ses emplois. Erdogan – Poutine réconciliés, les touristes russes reviennent un peu. Mais il faut compenser les Européens qui fuient non seulement à cause des attentats mais aussi à cause de la situation politique. A Antalya on pense à changer de modèle touristique, développer un tourisme culturel et des boutiques-hôtels vs un tourisme de masse. Une idée, à en croire les fermetures d’établissements stambouliotes, qui n’est pas forcément la solution… Les professionnels du tourisme accusent un gouvernement autocratique qui instrumentalise la religion et glisse vers la dictature. Ils sont en colère contre la politique étrangère du Gouvernement mais aussi contre les Européens qui les laissent tomber et leurs médias qui en font des tonnes. Pour combler le vide, ils nouent de nouvelles relations commerciales, se tournent vers l’Est, l’Iran, l’Asie, les Pays du Golfe. (Route de la Soie ?)
Conclusion documentaire : « Pour l’heure, les chances de retour des visiteurs européens en Turquie semblent compromises. La démocratie turque est menacée, et les tensions sociales s’accentuent. Pour la seule année 2016, le pays a connu une dizaine d’attentats islamistes ou kurdes. En Egypte, la population s’accommode du gouvernement militaire. Elle l’accepte comme un mal nécessaire convaincue le rétablissement de la sécurité se traduira par un retour progressiste des touristes. La Tunisie est le pays qui a le plus progressé en investissant dans la protection des touristes et dans l’avenir de sa population. Si la démocratie perdure, et si les jeunes y trouvent leur compte, elle pourrait se développer dans la stabilité. »
En route vers le printemps 🙂
En ce moment, à défaut d’importer des touristes européens, le président turc Erdogan, qui a lancé un référendum pour obtenir les pleins pouvoirs, exporte sa campagne en Europe où il chasse, menace, fait de la propagande, créant des tensions avec l’Allemagne, les Pays Bas ou encore la Suisse…
Bien malin qui pourra prédire comment tout ceci évoluera. En attendant, clôturons ce mois sur une note positive.
Outre le climat printanier, une autre bonne nouvelle : après Mr. T, le Brexit, la victoire trop vite annoncée de MLP, pour la première fois un sondage donne l’Européiste-mondialiste anti-repli Emmanuel Macron gagnant de l’élection présidentielle française de mai prochain.
Emmanuel Macron ne cesse de gagner des soutiens. Le match au sommet opposera donc bien le Parti des origines au Mouvement hybride. La rhétorique identitaire au pragmatisme. La mondialisation au néo-Middle Ages. Le Territoire au Réseau (lien). Moi j’aime bien Benoît Hamon aussi, sa proposition de taxer les robots, son faciès bienveillant. Mais il court pour le PS, un parti qui fait diagnostic commun avec les partis populistes, comme l’a finalement admis mon ami d’étiquette socialiste… On a besoin d’OPTIMISME, de lumière, d’énergie, de défi… ils nous dépriment ces dépressifs.
Une autre façon de l’être, optimistes, c’est de s’attacher au local. Ainsi cette semaine on pourrait parler de la pragmatique Genève et son opération Papyrus (http://ge.ch/population/actualites/operation-papyrus) campagne de régularisation de « résidents sans-papiers« , de « travailleurs clandestins« .
Genève en plein trend d’ouverture, Genève, qui voit son parti populiste reculer. Genève, où dans une de ses banlieues ce week-end on célébrait la solidarité.
Reste le projet du Grand Genève qui peine encore à décoller… Une exposition vide, des collègues en quête de boîtes aux lettres locales pour conserver leur permis, mais sans réelle volonté de travailler à une identité commune. Commençons par là, ensuite l’admin suivra…
La Minute identitaire
Et pour conclure ce mois, je sais que j’ai promis que le Menu Identités serait moins copieux dans le PG, mais je n’entends pas résister à partager avec vous des visions toujours singulières de l’identité, pour celles-ci entendues dans la Grande Librairie du 23 février.
Shumona Sinha, romancière née au Bengale, à Calcutta, en 1973, et arrivée à Paris en 2001 pour enseigner l’anglais, publie « Apatride« , son quatrième roman. Le thème ? Entre Inde, France et va-et-vient, trois femmes dans le labyrinthe de la quête d’identité. A travers elles, l’auteure explore la condition féminine en Inde et en France et les fractures sociales, politiques, communautaristes et religieuses françaises. Une femme « de couleur » exposée à la banalisation des propos racistes, au discours national binaire. Pour l’auteure, originaire d’une Inde encore fortement sous l’emprise de la culture britannique, choisir la France fut une pure folie. Ainsi l’exil ne fut pas douce évolution mais brutale rupture. Effrayante et jouissive, grâce à la rencontre avec une nouvelle langue. Sa vision de l’identité ? Le premier territoire est le corps. Les violences faites aux femmes = les déloger de leur propre territoire –> les rendre apatrides.
Dans cette Grande Librairie s’exprimait aussi le philosophe et sinologue François Jullien, qui a beaucoup écrit sur les identités culturelles. Pour cet auteur, parler d’identité culturelle, associer identité et culture est faux. La culture ne cesse de changer, il n’y a donc pas d’identité possible. D’autre part la culture est collective. On confond ainsi deux choses, l’identification du sujet et puis ce qui serait une identité objective de la culture. Il appelle à abandonner ce faux débat pour un autre, autour des ressources culturelles. En France plane un repli identitaire qui voudrait faire croire qu’on s’identifie à une culture, alors qu’en fait la culture ce sont des ressources, qu’on explore, qu’on exploite, et qu’on n’est pas amené à posséder. On ne possède pas sa culture, qui au contraire représente la capacité de se dépayser en soi-même. Si ce refuge, discours identitaire s’est installé, c’est donc sans doute parce que beaucoup de choses se réfugient en lui…
Pour clore ce mois de février, citons Caryl Férey « Être plouc c’est d’être de quelque part« . Une phrase qui colle pile poil à l’esprit du PG.